Embauche : la surqualification et la loi

Être qualifié ou scolarisé au-delà des exigences d’un poste – en d’autres mots, être surqualifié – est une question importante pour les chercheurs d’emploi, les employeurs et les décideurs. Même si parfois une personne choisit d’occuper un emploi qui demande moins de compétences, en général, pour la plupart des gens qui occupent des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés, il s’agit plutôt de leur unique possibilité d’emploi.

Ce constat est particulièrement vrai pour les nouveaux immigrants au Canada.

Les recruteurs écartent généralement d’emblée les candidats surqualifiés parce qu’ils croient qu’ils seront insatisfaits dans leur emploi et qu’ils quitteront leur emploi après une courte période de temps. Or, deux récentes études internationales ont montré que cette perception est faussée. Par ailleurs, les employeurs au Canada doivent désormais prendre en compte la loi en ce qui concerne un segment de la population surqualifiée, à savoir les immigrants membres de minorités visibles.

En 2006, le Tribunal canadien des droits de la personne a rendu un jugement historique sur la surqualification comme raison justifiant l’élimination de candidats immigrants appartenant aux minorités visibles. Statistique Canada définit un récent immigrant comme une personne qui est résidente permanente depuis 5 à 10 ans et un immigrant très récent comme une personne qui est au Canada depuis moins de cinq ans. L’affaire concernait une plainte déposée auprès de la Commission canadienne des droits de l’homme par M. Gian Sangha après que sa candidature a été rejetée pour le poste d’agent de la réglementation (AR) auprès du Mackenzie Valley Land and Water Board (office des terres et des eaux de la Vallée du Mackenzie).

L’offre d’emploi que l’Office a placée dans le journal concernant quatre postes d’AR précisait les exigences requises : diplôme dans un domaine pertinent et deux années d’expérience dans un domaine connexe; ou diplôme d’études postsecondaires en gestion de l’environnement et trois années d’expérience; connaissances de la technologie de ce domaine et des enjeux connexes; connaissance fonctionnelle de logiciels; capacité de rédiger des rapports techniques; permis de conduire. Les postes d’AR avaient un mandat de trois ans, sous réserve d’une période probatoire de six mois, avec une possibilité de prorogation de deux ans.

L’AR assume des fonctions administratives normalisées telles que le traitement de demandes de permis d’utilisation des terres et de permis d’utilisation des eaux. Il doit en outre collaborer avec des examinateurs aux fins d’examen et préparer des rapports pour le Conseil. Bien que les AR doivent avoir des connaissances techniques de base, une expertise technique peut être obtenue à l’interne ou auprès de consultants externes. L’Office jugeait aussi important que les AR possèdent une certaine connaissance en matière de questions environnementales dans le Nord du Canada, qu’ils aient vécu dans les régions nordiques et qu’ils possèdent une certaine connaissance des collectivités des Premières Nations.

Le comité d’entrevue de l’Office (formé d’une directrice des finances et de l’administration, d’un gestionnaire hiérarchique et d’un employé du domaine technique) a interviewé 12 postulants parmi les 38 demandes reçues (deux possédaient un diplôme collégial, neuf possédaient un baccalauréat, et M. Sangha). Le comité a éliminé tous les postulants qui n’avaient qu’un diplôme d’études secondaires ainsi que ceux qui possédaient un diplôme d’études supérieures. Il y a lieu de croire que l’Office a utilisé le niveau de scolarité comme critère de présélection. Il s’en est servi pour éliminer les candidats sous-qualifiés et les candidats surqualifiés. Or, à l’insu de M. Sangha, l’Office l’a interviewé parce qu’il estimait qu’il pourrait pourvoir le poste de conseiller technique, poste de niveau supérieur également vacant à l’époque.

Le comité a évité les questions sur les caractéristiques personnelles comme la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique, la religion ou l’âge. L’entrevue structurée du comité comportait des questions standard portant sur les compétences du candidat, sur ses connaissances de l’Office, son expérience, sa disponibilité et ses attentes salariales. M. Sangha s’est vu accorder le pointage le plus élevé par le gestionnaire hiérarchique et s’est classé au quatrième rang, selon le pointage de la directrice des finances et de l’administration (la personne technique n’a pas fourni son pointage).

En plus du pointage accordé aux entrevues, le comité a basé sa décision de faire une offre d’emploi sur le profil global du postulant et sur l’opinion du comité quant au postulant qui semblait bien cadrer avec le poste. Dans le cas de M. Sangha, le comité a fondé sa décision de ne pas l’embaucher sur le fait qu’à son avis, il était surqualifié pour ce poste de débutant et que, par conséquent, il se lasserait du type de travail exigé. Deux candidats ont refusé l’offre de l’Office, qui a alors embauché deux candidats dont le pointage était nettement moindre que celui de M. Sangha.

Le roulement du personnel est un problème propre au Nord du Canada. C’est là une des raisons pour laquelle l’Office privilégie une expérience de vie dans le Nord. L’ironie est qu’il appert que les candidats retenus par l’Office n’ont pas permis d’éviter le roulement du personnel. En effet, la plupart des postes d’AR comblés sont devenus vacants dans les trois ans suivant l’embauche, les titulaires ayant accepté d’autres postes ou ayant quitté le Nord. En ce qui concerne M. Sangha, sa candidature n’a pas été rejetée en raison de son manque d’expérience du Nord.

Se penchant sur le cas, le Tribunal canadien des droits de la personne a déclaré que pour prouver qu’il y avait eu discrimination, M. Sangha devait montrer qu’il possédait les compétences de base pour l’emploi; qu’il était un immigrant appartenant à une minorité visible; qu’il était surqualifié par rapport à l’emploi en question; que le statut de personne surqualifiée était l’une des raisons pour laquelle il n’avait pas été embauché; et qu’il existait une corrélation entre le statut d’immigrant appartenant à une minorité visible et le statut de personne surqualifiée.

Le Tribunal a facilement conclu que M. Sangha avait prouvé les quatre premiers points, et qu’en portant l’affaire devant le Tribunal, la Commission canadienne des droits de la personne s’est fiée dans une large mesure aux avis de M. Jeffrey Reitz, professeur à l’Université de Toronto et expert dans le domaine des études de minorités ethniques, d’immigration et de pluralisme. M. Reitz a présenté plusieurs conclusions à l’appui concernant le marché du travail des immigrants basées sur les données du Recensement et de l’Enquête sur la population active :

Les immigrants sont, en moyenne, plus scolarisés que les Canadiens de souche. Depuis les années 70, la plupart des immigrants appartiennent à des minorités visibles, et ils sont en grande partie des immigrants économiques ou immigrants indépendants qui sont choisis en fonction d’un système de points. Ces immigrants ont tendance à avoir une certaine formation postsecondaire, et un nombre important d’entre eux n’ont pas seulement un diplôme universitaire de premier cycle, mais bien des diplômes d’études supérieures. Or, en dépit de leur scolarité, les immigrants membres de minorités visibles doivent surmonter des obstacles à l’emploi correspondant à leur niveau de qualification, ce qui les oblige à chercher des emplois exigeant moins de compétences. Au nombre de ces obstacles, citons la méconnaissance des employeurs des diplômes étrangers, le manque de crédit pour l’expérience de travail hors du Canada, des processus d’octroi de licences très restrictifs, ainsi que des pratiques d’embauche discriminatoires fondées sur la race, le statut d’immigrant ou l’origine.

Les immigrants acceptent souvent un travail pour lequel ils sont surqualifiés, car ils se voient refuser un emploi correspondant à leur niveau de qualification. Par conséquent, ils sont surreprésentés dans les emplois moins spécialisés par rapport aux Canadiens ayant des qualifications équivalentes et sous-représentés dans les « professions du savoir », où une forte proportion des travailleurs a une formation universitaire (p. ex., en science, en ingénierie, en santé et dans d’autres professions). Même si ces professions sont de plus en plus importantes et que le niveau de compétences des immigrants augmente, en termes absolus, la représentation des immigrants dans ces professions a baissé.

Les immigrants viennent souvent de pays où les possibilités économiques sont inférieures, et leur point de comparaison constitue les emplois occupés dans leur pays d’origine par des personnes aux compétences similaires. Dans la mesure où le roulement du personnel est le résultat de travailleurs poursuivant d’autres possibilités d’emploi, les obstacles rencontrés par les immigrants éliminent ces possibilités. En fait, le taux de roulement peut s’avérer moindre chez les travailleurs immigrants. Les données révèlent que les candidats surqualifiés sont susceptibles d’être des immigrants issus de minorités raciales, ce qui signifie qu’une politique de non-embauche de candidats surqualifiés entraîne la non-sélection d’immigrants appartenant à des minorités visibles.

S’inspirant du témoignage expert de M. Reitz, le Tribunal a constaté qu’il existait une corrélation « entre le statut d’immigrant appartenant à une minorité visible et le statut de personne surqualifiée ». Cette conclusion confirme donc qu’il y a bel et bien eu contravention à l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, en ce qui concerne la plainte de M. Sangha. Le Tribunal a donc ordonné que : « lorsqu’un immigrant appartenant à une minorité visible a été sélectionné pour passer une entrevue quant à un poste à l’Office, l’Office mette fin à toute politique ou pratique qui exclurait automatiquement ce candidat au motif qu’il est surqualifié pour l’emploi. »

Les dommages-intérêts accordés par le Tribunal n’ont pas entraîné l’embauche de M. Sangha à un poste d’AR ou au versement d’une indemnité pour perte de salaire. Toutefois, une demande subséquente auprès de la Cour fédérale en vue d’accorder un examen juridique a permis de conclure que le Tribunal avait erré à cet égard. Déclarant qu’il y avait des preuves importantes suggérant qu’il y avait pour M. Sangha une « possibilité sérieuse » d’embauche, la Cour fédérale a renvoyé l’affaire devant le Tribunal. L’absence de rapports complémentaires sur le cas suggère que les parties sont parvenues à une entente à l’amiable.

Les conclusions du Tribunal et de la Cour fédérale font maintenant partie de la jurisprudence du Canada et ont déjà été citées comme précédent dans un certain nombre de cas subséquents.

Le cas de M. Sangha est, aux yeux de la Commission canadienne des droits de la personne, une décision historique. Cette décision signifie également que le paysage de la législation du travail et des droits de la personne au Canada est en voie de devenir plus en phase avec le profil changeant de notre paysage ethnodémographique. Non seulement les employeurs doivent-ils désormais être conscients de l’aspect juridique émergent du processus d’embauche, mais ils auraient aussi avantage à explorer le riche bassin de main-d’œuvre que représentent les immigrants qualifiés.

On retrouve désormais dans bon nombre de villes des conseils d’emploi d’immigrants ainsi que des organismes d’aide aux immigrants, qui offrent une expertise considérable sur le processus de recrutement et d’intégration des immigrants qualifiés dans la population active. Grâce à ce type de soutien auquel les employeurs peuvent généralement avoir accès gratuitement, l’embauche d’immigrants qualifiés peut être extrêmement gratifiante et permettre d’élaborer une solide stratégie de ressources humaines.
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Les auteurs

Raquel Chisholm, associée principale pour Emond Harnden s.r.l.

Le cabinet Emond Harnden s.r.l. est le plus important cabinet d’avocats de l’Est de l’Ontario qui se consacre exclusivement à conseiller les gestionnaires d’entreprises sur les questions relatives aux relations de travail et à l’emploi. Pour plus d’informations, consultez son site à www.emondharnden.com.

Michael Sebold, gestionnaire principal, Politiques publiques et recherche, Embauche immigrants Ottawa

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